vendredi, février 03, 2006

 

Mahomet ou Voltaire

Faut-il se résigner à penser que la culture musulmane est inconciliable avec la modernité et l’esprit critique ?
Hier soir, j’étais l’invité de Cause Commune, sur France Culture, pour parler de « médias européens » au moment où cafebabel.com fête ses 5 ans. Pour expliquer la nécessité de tels médias continentaux j’ai mis l’accent sur une constatation à mon avis évidente : « les défis auxquels sont confrontées nos sociétés européennes sont communs : on a tous la même monnaie, on a tous la même frontière Schengen pour gérer l’immigration ; on a tous les mêmes problèmes de gestion de l’immigration musulmane ».
Un auditeur m’a écrit aujourd’hui pour me retorquer « la niaiserie et le côté odieux de cette remarque qui nous rappelle les déclarations des pires politiciens de la Lega » car « l'on pas besoin forcément de l'Europe pour comparer les différentes gestions (de l’immigration) » et que « cette façon de mettre en exergue l'immigration musulmane nous rappelle aussi les merveilleuses années 30 de l'Europe et en outre qu'une grande majorité des gens d'origine musulmane d'Europe ne sont plus des immigrés mais des citoyens européens à part entière ».
Je suis amusé par cet irremplaçable rêve de se voiler la face que beaucoup, en Europe, continuent à caresser au sujet de la gestion de l’immigration musulmane – rêve qui tourne au cauchemar pour la sécurité (émeutes dans les banlieues), la vie (meurtre de Theo Van Gogh), l’ordre public (attentats de Paris, Londres et Madrid) de nos concitoyens – chrétiens, athées ou musulmans d’ailleurs.
En France, en plus, au syndrome de l’autruche s’ajoute une sophistication de la rhétorique et, a fortiori, de la langue qui entraîne une série désormais illimité d’expressions « tabou » et « politiquement incorrectes » qui renforcent un climat intellectuel auquel ni moi, ni a fortiori un magazine 100% européen n’entendons nous plier.
Venons au cœur de la question de la « gestion de l’immigration musulmane » : est-il possible qu’on n’y voie pas un problème commun aux sociétés européennes ? Peut-on penser vraiment que la proximité géographique, culturelle et juridique (vu qu’on partage le même espace de circulation des hommes appelé Schengen – le Canada n’y fait pas partie que je sache…) des pays européens ne soit pas un élément commun qui doit nous induire à aborder ce problème du moins en nous concertant ?
Quand je me réfère à la gestion de l’immigration musulmane, en plus, je ne vise pas la gestion d’une immigration – il paraît – réussie comme celle dont a du faire partie cet auditeur de France Culture qui dit avoir 53 ans et « être européen bien avant que [je] vienne au monde ». Mais son mépris pour la liberté d’expression qui l’amène même à clôre son e-mail sympathique avec un très poli « Je n'ai pas envie de vous saluer » (sic), me fait douter de son appartenance à une communauté de valeurs européenne qui demeure, à mon avis, parfaitement incarnée par cette phrase de Voltaire qui clôt l’article de Chris Yeomans que nous publions aujourd’hui sur les desseins sur Mahomet publiés par la presse européenne : «je ne suis pas d'accord avec un mot de ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour votre droit de le dire».
Brice Couturier, l’animateur de l’émission qui répondait à ma phrase, avait raison à parler du « codage intellectuel et idéologique qui est différent d’un pays à un autre » comme d’un problème pour la merveilleuse aventure des médias européens. Tant qu’on aura ces auditeurs, tout sera difficile.

Comments:
Voltaire, fatalement!!!! Personne n'est suicidaire dans le coin. En revanche, je ris avec toi de cette immigration si réussie, de ces gens qui ne savent toujours pas sourire d'un dessin, aussi osé soit-il (j'avoue au passage que je serais bien curieuse de les voir ces caricatures qui font trembler de pauvres freluquets à la foi si solide qu'un trait de crayon suffit à calciner) et de l'improbable rapport de cause à effet qu'il y aurait entre les deux.

Les être réfléchis doivent-il cesser de chercher l'urgente et nécessaire solution à un problème absolument primordial parce que quelques écervelés aux dangereuses idées veulent se battre contre des moulins?

Cette "gestion" de l'immigration, quelle aubaine pour la France et les pays voisins...si seulement elle existait! Pour ma part j'estime qu'il s'agit de la priorité politique et humaine du XXème siècle. Nous sommes donc plus qu'en retard. Que le racisme, l'intolérance, le chaos des échanges et des règlementations, que la porte ouverte à une immigration ingérable et démesurée ou au contraire haineuse, étroite et exclusive dictent encore cette question m'écoeure foncièrement.

Après dix ans ans passés en France (dont il faut dire que c'est un pays qui régule particulièrement mal le problème ou peut-être ses citoyens sont-ils simplement épidermiquement programmés pour se hérisser dès qu'ils y sont confrontés,) je n'ai pu aboutir à d'autre réflexion que celle-ci: il s'agit d'une enigme, d'une question insoluble. Forte de ce lâche constat, terrassée par ce mal-être qui me taraudait au quotidien, étrangère à mon propre pays à un point que c'en est effrayant je suis partie. J'ai quitté la France, l'Europe pour un pays où le mot immigration n'est pas dramatisé, où les enfants apprennent à l'école que les hommes comme les fleurs sont de toutes les couleurs, que l'on peut parler mille langues différentes, prier qui on voudra, sentir la frite ou le curry en sortant de table, l'essentiel est de se comprendre, de goûter ou du moins de connaître ces différences. Un pays qui tente d'être juste et généreux en ouvrant ses portes. mais sait aussi parfois être ferme, sensé et prendre les choses en main. Croyez-moi l'immigrée blonde catho (sans plus) de 28 ans que je suis se sent dans son élément pour la première fois en dix ans .

Aussi dois-je m'insurger: que les acharnés qui cherchent encore une solution, admirables idéalistes, que ceux qui pensent encore que l'immigration se gèrera en France parlent, se battent usent leurs yeux et leurs forces pour y parvenir, pour se faire entendre. Car cet engourdissement des consciences, cette lassitude, cette démission généralisée face à la violence et les kyrielles d'aléas engendrées par l'immigration dans ce pays, le voici le véritable fléau, la peste de notre génération.

Et quelle que soit l'heure il conviendra d'en débattre jusqu'à ce que cesse cette absurde et véritable guerre intestine. Si d'autres veulent discuter caricature qu'ils le fassent, libre à eux de perdre leur temps, mais qu'ils laissent leurs semblables exercer leur réflexion comme bon leur semble.

J'espère vraiment pouvoir un jour rentrer à la maison, dans mon pays natal, une France où Français d'origine et Français immigrés auraient pactisé...
 
Les mots sont importants. Il est plus juste de parler de phénomène plutôt que de problème de l'immigration. De même, en examinant la situation objectivement, on remarque qu'en France au moins -la situation allemande est naturellement très différence, vu le mode d'acquisition de la nationalité, la majorité des musulmans résidents sont Français. Difficile alors de parler d'immigration. Là encore en France, d'ailleurs, on peut cerner certains phénomènes et certains problèmes, mais la généralisation serait réductrice et outrancière. Pour l'essentiel d'ailleurs, les musulmans de France ont les mêmes valeurs que les catholiques et les agnostiques.

A propos de caricatures, le problème est "tactique". Certes, la liberté d'expression se discute peu, quoique je sois plus à l'aise dans un système qui condamne le négationnisme, l'incitation à la haine et au terrorisme, que dans la très libérale Grande-Bretagne. Mais avec cet épisode malheureux, par maladresse et méconnaissance, nous faisons le jeu du "choc des civilisations", en fournissant aux pires forces et régimes du monde arabe une occasion d'occuper la rue et de souder une large partie du peuple autour d'eux.
Il faut savoir ce qu'on veut. Si c'est le dialogue et l'intégration, il faudra s'en donner les moyens, ce qui ne nécessitent que de la pédagogie, et aucun renoncement.
 
Parler de l' "immigration musulmane" comme d'un "problème", un "défi" commun à l'Europe, ça ne veut pas dire que la situation est pareille partout, ni qu'il faut se limiter à cette expression car elle était insérée dans une liste non exhaustive et que ce n'était pas l'objet de l'émission.

Je saisis donc l'occasion pour préciser que JE NE PENSE PAS que l'immigration musulmane soit un porblème dans son intégralité dans le sens que tous les musulmans constitueraient un problème pour l'Europe. Je crois dans l'immigration au point de parler de "politique du tapis rouge" parce que le Vieux continent que nous sommes a besoin d'énergie fraîche, de culture(s) et de cervaux. Mais à condition qu'à des ambitions progressistes on donne des moyens solides : pour que le rêve de tout immigrant ne tourne pas au cauchemard pour lui et pour les personnes censées l'accueillir.
 
Je publie la réponse de Brice Couturier, l'animateur de Cause Commune, à l'auditeur qui avait comparé mes propos à ceux "des pires politiciens de la Lega", en le remerciant pour celui que, de nos jours, il faut désormais qualifier de véritable "courage" et pas de normale déontologie professionnelle, devenue rare :

"Monsieur,
J'ai pris bonne note de vos observations. Etes-vous choqué lorsque les historiens de l'Allemagne parlent "d'immigration protestante" dans leur pays, au XVII° siècle, suite aux persécutions subies dans le nôtre après la révocation de l'Edit de Nantes ?
Dans le contexte actuel, précisément, je n'ai pas envie de pratiquer mon métier de journaliste sous la menace. Mes invités sont libres de leurs propos et je n'ai nulle intention de les censurer aussi longtemps qu'ils respectent les lois de notre pays. Et seulement celles-ci.
Brice Couturier"
 
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